Prévenir l’accident : l’affiche de sécurité à la SNCF (1941-1986)

Datés de 1941 à 1983, 63 affiches lithographiées et 8 maquettes d’affiches peintes à la gouache sur carton...

La sécurité est une préoccupation permanente pour le cheminot qui assure au quotidien la sienne, celle de ses collègues et celle des voyageurs1. Après une solide formation initiale, l’agent est amené, tout au long de sa carrière, à intégrer des consignes strictes pour les appliquer. Malgré les multiples avancées technologiques, l’exploitation ferroviaire repose toujours sur le facteur humain.

 

Les affiches de sécurité du Fonds cheminot

La collection s’enrichit régulièrement et compte à ce jour 71 documents (dons et acquisitions) datés de 1941 à 1986 dont 63 affiches lithographiées et 8 maquettes d’affiches peintes à la gouache sur carton.

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Les maquettes montrent le travail préparatoire de l’artiste et donnent des précisions sur l’impression et la quantité à imprimer.

 

 Deux affiches très expressives s’adressent directement aux voyageurs.

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 Choquer pour interpeller

L’affiche rend le risque visible et transmet un message de prévention simple et clair. Pour être facilement mémorisés, les conseils de prévention sont très concis et l’emploi de l’impératif est très fréquent : « ne vous penchez pas, ne laissez pas, faites ceci… pas cela, ne circulez pas, ne passez pas ». Cinq mots reviennent de manière récurrente : prudence, attention, vigilance, danger, sécurité.

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L’affiche de sécurité doit attirer le regard, surprendre et frapper les esprits. L’avertissement sera ainsi intégré de manière quasi définitive par l’agent. Le dessinateur utilise plusieurs registres, tantôt la peur, l’humour ou la culpabilité.

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Le dessin, renforcé par un message lapidaire et culpabilisateur, joue sur la sensibilité et l’attachement du travailleur à sa famille.

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Montrer le risque

On peut classer les affiches de sécurité en deux catégories.

La première catégorie relève de la prudence, elles appellent l’agent à la vigilance. En respectant les règles, il doit pouvoir éviter l’accident. La chute, par exemple, demeure encore aujourd’hui, tout secteur d’activité confondu, la cause principale d’accident du travail. L’ouvrier qui exerce son métier dans l’enceinte ferroviaire doit être particulièrement attentif à son environnement, adopter une conduite prudente et vérifier régulièrement le matériel qu’il utilise.

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Le conseil dépasse parfois le lieu de l’activité professionnelle et s’applique aux trajets domicile-travail.

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La seconde catégorie d’affiches concerne la transmission d’une consigne précise. Il s’agit d’observer les bons gestes et proscrire le geste maladroit qui entraîne à la longue de mauvaises postures, des pathologies ou –pire- enclenche l’accident.

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Les fondements : le P.9 a n°1

Approuvé par décision ministérielle du 31 octobre 1947, le règlement de sécurité, le fameux P.9 a n°1, est remis individuellement, aux « agents les plus exposés aux risques d’accidents du travail ».

Les principales recommandations sont contenues dans ce qui pourrait être « le livre de chevet » du cheminot. La première page du règlement établit un triste constat : « Il ne se passe guère de jours que la S.N.C.F. n’ait à déplorer la mort d’un de ses agents […] le nombre annuel des accidentés du travail atteints d’une incapacité physique permanente est considérable […] Pourtant 80% des accidents pourraient être évités si leurs victimes (ou parfois des tiers) n’avaient manqué de prudence ou d’attention ». En sept chapitres, dont deux consacrés aux risques liés au courant électrique et aux produits inflammables, sont déclinées les règles à suivre pour protéger les travailleurs sur les voies, sur les trains, aux manœuvres, dans les ateliers et dépôts, dans l’enceinte ferroviaire de manière générale. De 1947 à 1951, la règlementation évoluant, le cheminot insère et colle les ajouts et rectificatifs du P.9 a2, ensuite le P.9 a n°1 est régulièrement édité3.

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L’affiche : outil de prévention

C’est dans le contexte particulier de l’après-guerre que l’Institut national de sécurité (INS)4 est créé en 1947 sous l’égide de la Sécurité sociale. La direction de la SNCF est bien consciente qu’il faut faire évoluer les comportements et réduire le nombre d’accidents dus à l’imprudence. En concertation avec l’INS, l’entreprise ferroviaire construit sa propre communication et commande plusieurs séries d’affiches dont le Fonds cheminot conserve quelques exemplaires. Les mutations technologiques liées notamment à l’électrification du réseau engendrent des risques insidieux pour le personnel habitué aux « pièges » de la traction vapeur. Il est en effet plus difficile de percevoir les dangers du courant électrique que ceux du foyer ardent d’une chaudière de locomotive à vapeur. Sur cet exemple précisément, le P.9a n°1 donne cet avertissement : « Ne mettez pas le pied sur un rail conducteur pour le franchir ; vous risquez d’être électrocuté ».

Des affiches apposées dans les dépôts martèlent le message.

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L’agent doit observer la plus grande prudence près des machines électriques et le long des voies.

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Le responsable d’équipe, chargé de veiller sur ses hommes, anime des « causeries » axées sur une prévention plus large. Ce dernier s’appuie souvent sur l’expérience des plus âgés, il lui arrive de placer le jeune embauché sous la protection d’un cheminot plus aguerri.

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Des films pédagogiques rappelant les consignes de sécurité sont proposés à bord du wagon cinéma. Ainsi cinq wagons cinéma (un par région) circulent en 1942, 5 496 séances sont organisées et 256 000 agents sensibilisés5.

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Plus tard des conférences-débats sont organisées et différents supports tels que des dépliants, livrets et kits réalisés en lien avec la médecine du travail, sont distribués dans les différents espaces ferroviaires.

De coupable à responsable

La collection d’affiches montre l’éventail des risques auxquels était exposé le personnel cheminot malgré l’automatisation croissante des tâches. Quelles professions sont les plus concernées par ces affiches de sécurité ? Les cantonniers et ouvriers de la voie, les agents qui exécutent des manœuvres en gare (entre les wagons notamment) et l’atteleur en particulier6, ceux chargés de l’entretien du matériel roulant, les agents de surveillance, , les manutentionnaires, les mécaniciens et les chauffeurs. Parmi les illustrateurs des années 1940 à 1990, on retient surtout le nom de Maurice Durupt, signalé "ouvrier à l'atelier des voitures-wagons du Landy" dans le n°60 de Notre Métier du 24 mai 1946 ; il a produit pas moins de 26 sur les 71 affiches, celui de Dubruille (5), R. Lainé (4), Arfoll (2)7, Jean Clavery (2) et Gondo.

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À l’évidence, les messages de prévention comme le ton de la communication évoluent au fil du temps. On ne s’adresse pas au cheminot des années 1990 comme à celui des années 1950 . L’affiche devient plus suggestive, le réalisme de l’accident disparaît peu à peu et laisse progressivement place à une vision plus distancée du risque. L’affiche ne fait plus peur, ne culpabilise plus, ne donne plus de consignes, elle incite plutôt à la réflexion.
On peut s’interroger sur l’efficacité des affiches de sécurité. Leur contenu a, sans nul doute, contribué à la réduction du nombre d’accidents et entraîné une prise de conscience des ouvriers, employés et voyageurs (ici très peu représentés). Au-delà du message de prévention lui-même, ce support original nous fait percevoir par l’image un aspect inhérent à l’exercice des métiers ferroviaires, celui, bien réel, de la dangerosité de certains postes de travail.

 

Retrouvez les notices descriptives de toutes les affiches de la collection sur le portail du SLB : cliquez ICI !

 

[1] Enjeu majeur pour les premières compagnies ferroviaires, des statistiques sur les accidents sont régulièrement établies par chacune d’entre elles, des commissions d’enquêtes sont créées. Voir notamment ces deux documents du Fonds cheminot : Ministère des Travaux Publics, Enquête sur les moyens de prévenir les accidents de chemins de fer : 1879-1880, Imprimerie nationale, 1882, 720 p. (Cote : Fi13). Ainsi que : Ministère des travaux publics, Commission chargée d'étudier les mesures à prendre pour assurer aux voyageurs en chemin de fer de nouvelles garanties de protection et de sécurité, 1886, 112 p. (Cote : Fi17).
[2] Ceci s’explique par le grand nombre de cheminots (environ 500 000) et la pénurie de papier dans les années de l’immédiat après-guerre.
[3] Voir l’article de Georges Ribeill, « Un petit dessin vaut mieux qu’un long discours », Historail, n°10, juillet 2009, p. 80 à p.87. Il évoque un exemplaire en sa possession, un tirage de 1957, la 6e version du P.9a n°1.
[4] Qui devient par la suite l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS).
[5] Clive Lamming, "La sécurité du personnel sur les chantiers", Revue générale des chemins de fer n°291, mars 2019, p.70
[6] L’attelage des véhicules d’un train doit, en théorie, être réalisé à l’arrêt mais cela ne semble pas toujours être le cas comme le prouve le grand nombre d’accidents.
[7] Arfoll est le pseudonyme d’André Fonnet, journaliste et dessinateur à l’hebdomadaire La Vie du rail.
[8] Créés en 1982, les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) rendent la participation des agents plus active dans la politique de santé et de sécurité de l’entreprise. Sept ans plus tard, la Directive européenne de 1989 établit les principes généraux de prévention et la responsabilité de l’employeur en matière de santé et sécurité au travail.