Travailler sur les voies dans les années 1945-1950

Après la Seconde Guerre mondiale, Ferdinand Dubreuil (1894-1972), artiste cheminot, dessine « Les Hommes du rail ».

Mise au point avant essai (pl.13). F. Dubreuil, Les Hommes du rail, Arrault, 1946 © CCGPF Fonds cheminot

Mise au point avant essai (pl.13). F. Dubreuil, Les Hommes du rail, Arrault, 1946 

 

L’album, tiré en 1946 à quelques exemplaires, comprend trente-quatre planches dessinées sur le vif dans les ateliers et les dépôts, sur les voies et les chantiers de la Sncf. L’artiste alterne les techniques, dessin au crayon, au fusain, à la sanguine, gravure sur bois.

Tirefonnage_ripage, éclissage (pl.26). Ferdinand Dubreuil, Les Hommes du rail, Arrault, 1946 © CCGPF Fonds cheminot Tirefonnage, ripage, éclissage (pl.26). Ferdinand Dubreuil, Les Hommes du rail, Arrault, 1946

 

Dans les années 1940 à 1960, les tâches exercées sur la voie ferrée comme le nivellement, l’entretien des rails, le serrage des boulons ou encore le renouvellement des rails s’effectuaient manuellement et demandaient un effort physique important. Plusieurs métiers sont représentés avec un grand réalisme : cantonnier, chauffeur, mécanicien, ajusteur, manœuvre, visiteur, aiguilleur, garde-barrière. En préambule, Ferdinand Dubreuil adresse cette belle dédicace à la corporation :

« À vous cheminots, mes camarades dont l'inlassable et dur labeur constitue nuit et jour, l'indispensable battement du cœur de notre pays. A vous, qui toujours sur la bûche, ne vous refusez jamais, j'offre bien fraternellement ce miroir de vos visages et de votre vie. »

 

Dédicace. F. Dubreuil, Les Hommes du rail, Arrault, 1946 © CCGPF Fonds cheminot

Dédicace. Ferdinand Dubreuil, Les Hommes du rail, Arrault, 1946

 

Attelage_Agent de train,_caleur à la butte (pl. 22).  F. Dubreuil, Les Hommes du rail, Arrault, 1946 © CCGPF Fonds cheminot

Attelage. Agent de train. Caleur à la butte (pl. 22). Ferdinand Dubreuil, Les Hommes du rail, Arrault, 1946

 

Sur cette planche l’artiste, très attentif, étudie le mouvement. L’atteleur, d’un geste précis, accroche les wagons, l’agent de train se prépare à monter à bord alors que le caleur à la butte se courbe près du rail. La position de chacun d’entre eux est parfaitement étudiée. Ces représentations restent un précieux témoignage sur les gestes de métiers aujourd’hui disparus.

 

En avant la boîteuse (pl. 28). F. Dubreuil, Les Hommes du rail, Arrault, 1946 © CCGPF Fonds cheminot

En avant la boîteuse (pl. 28). Ferdinand Dubreuil, Les Hommes du rail, Arrault, 1946

 

Ferdinand Dubreuil s’attache à reproduire la tension des corps due à l’effort physique. Il décompose les mouvements qui font osciller les hommes de gauche à droite. Ce travail d’équipe, pour lequel la solidarité est indispensable, s’effectue en deux temps bien distincts. La charge des convois a progressivement augmenté et les rails ont en conséquence gagné en solidité, en résistance et en poids. Sur cette représentation, les hommes portent un rail de 6 mètres qui pèse 30 kg par mètre courant[1].

En 1947, l’Union artistique et intellectuel des cheminots français (UAICF) remet à Ferdinand Dubreuil le Prix Schefer, un prix créé à la mémoire du dessinateur et peintre Emile André Schefer qui récompense chaque année une œuvre à thème ferroviaire.

 

Ferdinand Dubreuil, un cheminot investi

Né dans l’Allier, à Doyet et fils de mineur, Ferdinand Dubreuil entre en 1910 à la Compagnie du Paris-Orléans en tant que dessinateur. Dès 1914, il est mobilisé et intègre le 5e régiment du génie à Versailles ; il est ensuite envoyé sur le Front pour réaliser des relevés de plans et se spécialise dans le minage des ponts. Au cours de ses rares moments libres, il réalise des croquis qu’il vend au profit d’œuvres d'entraide pour les soldats.

Il est démobilisé en septembre 1919 et décoré de la Croix de guerre et de la médaille militaire. Après quelques mois à Montluçon, il est nommé au service « Voies et bâtiments » situé à Tours, ville dans laquelle il termine sa carrière en 1952.

Il a beaucoup œuvré pour la reconnaissance des victimes de la Grande Guerre. Également très actif sur le plan local, c’est à son initiative que « le Foyer du cheminot », ensemble d’instances associatives, est créé en 1943[2].

 

Envoi autographe agrémenté d'un dessin de Ferdinand Dubreuil (1954). © CCGPF Fonds cheminot

Envoi autographe agrémenté d'un dessin de Ferdinand Dubreuil (1954)

Lecteur assidu, Ferdinand Dubreuil fréquente la bibliothèque Sncf de Tours et envoie ce sympathique message illustré : « En souvenir amical de l’artiste, aux cheminots lecteurs à la bibliothèque Sncf de Tours. L’un d’entre eux. »

 

Paralysé en décembre 1960 suite à un grave accident de voiture, il ne peut plus dessiner, il s’éteint le 30 janvier 1972.

 

Les figures emblématiques du mineur et du cheminot

Son talent fut récompensé à plusieurs reprises et ses œuvres exposées en France (Tours, Angers, Lille, Moulins, Commentry…) et à l’étranger (Casablanca, Bruxelles...). Officier de la Légion d'honneur au titre des beaux-arts et officier du mérite social, il fut membre sociétaire des artistes français et lauréat du Salon des armées. Non seulement illustrateur de livres (bois gravés essentiellement), il fut l’auteur d'ouvrages inspirés par son parcours personnel : la Première Guerre mondiale, le Bourbonnais, la Touraine, le chemin de fer et les cheminots, la mine et les mineurs. Il a en définitive consacré ses deux recueil les plus importants à deux corporations emblématiques, celle des cheminots et celle des mineurs avec Les Hommes du rail et J'ai vu mourir sainte Barbe au pays des mineurs, hommage émouvant à ses racines[3].

 

Sur le plancher de fer (pl. 6). F. Dubreuil, Les Hommes du rail_ Arrault, 1946 © CCGPF Fonds cheminotSur le plancher de fer (pl. 6). F. Dubreuil, Les Hommes du rail, Arrault, 1946

 

Grâce à un don récent de la bibliothèque Sncf de Tours, il est désormais possible de consulter, en plus de son remarquable ouvrage sur la corporation cheminote, une dizaine de ses recueils de dessins au Fonds cheminot.

 

Les Hommes de la mine. F. Dubreuil

Les Hommes de la mine. Gravure signée par l’auteur, [1952]

 

 

[1] Un rail pouvait atteindre une longueur de 18 mètres.

[2] L’actuelle bibliothèque Sncf de Tours gérée par le Comité des activités sociales et culturelles interentreprises (CASI) des Cheminots de Tours en est la digne héritière.

[3] Le collège de Doyet et une rue de Tours portent aujourd'hui son nom.