Une apparence d'affiche ferroviaire pour cette aquarelle datant de 1915
La forme, le contour et les couleurs ressemblent aux affiches et guides édités par les compagnies ferroviaires vers 1910, l’artiste en détourne les codes.
Au premier coup d’œil, on songe à une publicité pour la Compagnie des chemins de fer de l’État mais l’aquarelle évoque un autre voyage... Regardés plus attentivement, les renseignements complémentaires nous conduisent sur une autre voie, ces voyages sont dits « à prix réduits » et valables pour un « temps illimité ». Un jeu de mots subtil renforcé par ce sous-titre que l’artiste écrit à côté de sa signature : « Une vue des réseaux (de fils de fer) ». C’est une allusion évidente au barbelé qui, fixé sur des montants en lignes successives, formait précisément un « réseau ». Ce réseau-là ne permet pas… l’évasion, il délimite matériellement les camps adverses.
C’est à l’automne 1914, qu’Eugène Lechat, né le 11 octobre 1889 à Paris, intègre le 32e Régiment d’artillerie et participe aux batailles d’Ypres et de l’Yser. Entre la préparation des assauts et la défense du camp, l’artiste devenu soldat réalise quelques croquis et trace sur le papier son quotidien en reliant ses souvenirs - ici ferroviaires - à son triste présent.
En 1916, Eugène Lechat se retrouve à Verdun puis sur le plateau du Chemin des Dames dès les premiers mois de 1917. Son carnet de tranchées, conservé à la Bibliothèque de la documentation internationale contemporaine (BDIC), reste un émouvant témoignage sur les conditions de vie dans les « creutes », ces carrières souterraines aménagées par les poilus.
Mais son itinéraire est stoppé net devant la creute 26 de Vassogne. On le sait grâce à cet ajout de la main même de son commandant : « Le brigadier Lechat était à peu près à cette place quand il a été grièvement blessé par les éclats d’un obus tombé à cette place. »
L’artiste soldat effectue son ultime voyage vers le poste de secours d’Oeuilly. Il décède des suites de ses blessures le 26 mai 1917, un mois après le début de l’offensive Nivelle.
Pour lui, comme pour la plupart de ses camarades de tranchées, il n’y aura pas de billet retour.