Les cheminots à Asnelles : du préventorium à la colonie de vacances
Pour lutter contre la propagation de la tuberculose, les compagnies ferroviaires déployèrent des efforts multiples.
Elles ont lancé des campagnes d’information destinées à prévenir l’épidémie, ont renforcé le dépistage et créé leurs propres structures pour les convalescents, élaborant de la sorte une stratégie à la fois prophylactique et sociale1.
Veiller sur la santé des enfants
Au fur et à mesure que se renforçait la surveillance médicale des cheminots, il devint essentiel de protéger les familles, et les enfants en particulier. L’Association « Les Enfants des chemins de fer français »2, fondée le 30 mai 1906 à Paris, vise à préserver de la tuberculose les enfants fragiles en les envoyant prendre l’air en colonie de vacances. Les premiers enfants sont accueillis dans un hôtel confortable à Asnelles3.
Image : Premier établissement à destination des enfants du personnel.
Cette coquette station balnéaire de la côte normande, reconnue pour son air sain et iodé, est alors desservie par les Chemins de fer du Calvados4.
Image : La gare d’Asnelles à la Belle-Époque.
Un projet ambitieux qui ne fait pas l’unanimité
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la situation sanitaire s’est aggravée, la tuberculose reste le mal insidieux qui fait tomber les moins résistants.
La société des « Enfants des chemins de fer français », reconnue d’utilité publique le 23 décembre 1920, achète grâce aux cotisations de ses adhérents et à divers dons, un grand terrain en bord de mer pour ouvrir un préventorium. Cet établissement ne soigne pas à proprement parler, il reçoit des enfants ou des adolescents non contagieux qui peuvent, à cause de leur santé précaire, être menacés par la tuberculose. Le sanatorium, quant à lui, s’adresse à des malades en voie de guérison.
Le projet de construire de grands bâtiments à proximité de la plage entraîne une vive polémique. Les opposants expliquent que ces installations risquent de dénaturer le site, ils s’inquiètent aussi des risques de contagion confondant préventorium et sanatorium5.
Un préventorium moderne
Malgré les protestations locales, le préventorium marin ouvre ses portes le 11 mars 1928. Une imposante bâtisse dominée par la tour monumentale de sa chaufferie, borde le littoral. Ce premier bâtiment accueille dans un premier temps les garçons (75 lits), les filles occuperont un autre édifice à partir de 1934 (100 lits).
Image : Le nouveau préventorium est construit sur la plage.
De 1928 à 1939, plus de 2000 enfants, de 6 à 14 ans, fréquentent l’établissement doté d’une capacité d’accueil de 220 lits. Les conditions d'hygiène sont remarquables, les jeunes sont encadrés par des infirmières diplômées spécialement recrutées et sont régulièrement suivis par le médecin. Les résultats sont décrits comme probants : « augmentation rapide du poids, de la taille et du périmètre thoracique, amélioration considérable de l’état physique et aussi de l’état intellectuel »6.
Image : Cette vue d'ensemble montre l’importance de la nouvelle construction.
La revue Notre Métier livre quelques détails sur les soins prodigués : « Nos enfants sont répartis en 11 sections dont chacune est confiée à une infirmière qui s’occupe ainsi de 18 à 20 enfants au maximum… elle s’occupe personnellement de leurs soins de propreté, les fait descendre aux repas, les sert elle-même et donne à chacun la ration ou le régime qui convient. Elle fait la classe, prépare, si besoin est, au certificat d’études. La même infirmière promène sa section et joue avec elle sur la plage ou dans la cour du préventorium, elle surveille constamment la tenue, les jeux »7.
Image : Les enfants s’ébattent sur la plage sous la surveillance de leur infirmière.
La cure d'air marin est d'une durée minimale de six mois, elle peut se prolonger selon l'état de l'enfant et le degré de contagiosité du milieu familial. Les compagnies ferroviaires et l’œuvre du Préventorium contribuent aux frais de séjour que les parents n’assument donc qu’en partie.
Image : Les très grandes fenêtres de la salle à manger ont été conçues pour diffuser le maximum d’air et de lumière.
Asnelles, l’une des plages du Débarquement
Au début de septembre 1939, les bâtiments sont réquisitionnés par l’Armée française et transformés en hôpital militaire. Les 200 enfants présents sont remis à leurs parents avant qu’un autre centre de cure à Mary-sur-Marne (Seine et Marne) puisse prendre le relais. Dès juin 1940, les troupes allemandes occupent le préventorium. En 1944, lors des combats du Débarquement, l’architecture caractéristique du bâtiment sert de point de repère aux navires alliés. En quelques jours il devient le théâtre de violents affrontements. Une fois la paix retrouvée, le constat est affligeant. L’intérieur et l’extérieur sont tellement endommagés que nul n’envisage une reconstruction. Le préventorium d’Asnelles, « fierté des cheminots et de ses créateurs », commencé en 1928 et terminé en 1934, a vécu cinq ans. Ressemblant de plus en plus à une épave abandonnée, il est rasé en mai 19609.
Image : Cette photographie prise en 1946 montre l’état de délabrement du préventorium.
Les colonies de vacances au Château d’Asnelles
L’histoire des petits cheminots jouant sur la plage d’Asnelles ne prend pas fin pour autant. L’œuvre du « Préventorium des Enfants des chemins de fer français » avait fait l’acquisition, en 1947, d’une grande propriété (24 500 m2) appelée communément Château d’Asnelles. Aujourd’hui protégé au titre des monuments historiques, le bâtiment a été édifié au milieu du 19e siècle par Théodore Labbey puis remanié dans les années 1890. On discerne encore sur la façade nord les armoiries du premier propriétaire des lieux. Un autre élément historique suscite l’intérêt. La belle demeure a en effet été occupée en juin 1944 par les Alliés. Selon un historien britannique, Tim Saunders, le croquis qui figure encore dans le hall représenterait l’emplacement des troupes allemandes et de leur armement (canon anti-char, mitrailleuses ou mortiers) ; il aurait été dessiné par une unité alliée débarquée le 6 ou le 7 juin.
Image : Cette ancienne demeure du 19e siècle, située dans la rue de Southampton, est rachetée par l’œuvre du « Préventorium des Enfants des chemins de fer français » en 1947.
Dans les années d’après-guerre, le domaine est transformé en centre de vacances à destination des enfants de cheminots, la surface du grand parc s’amenuise car de nouvelles structures nécessaires aux activités de plein-air viennent s’ajouter. A partir de 1986, année du transfert des activités sociales de la Sncf, sa gestion est confiée au Comité central d’entreprise de la Sncf puis au CCGPF en 2016.
Le centre de vacances, idéalement situé en bord de mer, avec un accès direct à la plage accueille régulièrement 400 enfants de cheminots par saison. Il est restauré avec soin en 2012, offrant désormais de beaux espaces composés de 12 chambres, 2 bibliothèques et 3 salles de restauration.
Images : Les parquets d’origine ont été conservés dans l’un des espaces dédiés à la lecture ; les couleurs lumineuses, bleu roi et vert anis évoquent l’atmosphère iodée de la région et soulignent les éléments anciens (plafond, cheminée et parquet).
L’ancien établissement relevait d’un élan de solidarité à l’intention de ses pensionnaires. La colonie de vacances apporte une autre forme d’aide sociale aux jeunes. L’un comme l’autre ont inscrit dans la mémoire locale d’Asnelles, la mission d’accueil inhérente à la corporation.
Focus sur les images
[1] Voir sur ce point les différentes actions menées par les compagnies ferroviaires : cliquer ICI
[2] Dénommée également l’œuvre du « Préventorium des Enfants des chemins de fer français
[3] L'effort social des grands réseaux de chemins de fer en faveur de leur personnel, Paris, Le Musée social, [1935], p.114. Cote Fonds cheminot : H90.
[4] Dans les années 1850, le village de pêcheurs subit d’importants changements sous l’impulsion du maire, le docteur Théodore Labbey : assèchement du marais, construction d’une digue et de nombreuses villas. La station balnéaire est desservie de 1899 à 1932 par les Chemins de fer du Calvados.
[5] Georges Pourchain, Les préventoriums d’Asnelles Association les amis de la Grange-à-dîme d'Asnelles, 2014, p. 30 et p.31. Cote Fonds cheminot : H235.
[6] L'effort social des grands réseaux de chemins de fer en faveur de leur personnel, [1935], p.115.
[7] Notre Métier, n°8, 15 juillet 1939, p.15. Cote Fonds cheminot : P NO.
[8] Informations médicales de la Sncf, n°12, octobre 1946, p.23, Cote Fonds cheminot : P INF.
[9] Ibid. p.24.
[10] Le Journal des colos, été 2013, Comité central d’entreprise de la Sncf, p.5. Cote Fonds cheminot : P JOU.