Les petits romans de gare

En attendant le train, le voyageur a la possibilité d’acheter au kiosque ou « bibliothèque de gare » une friandise, une carte postale, un guide, un journal ou un roman.

Avec sa couverture souple et son format réduit, « le petit livre à 2 sous » est pratique et bon marché, il est rapidement enfoui dans une poche, lu et parfois laissé sur la banquette ou encore jeté à l’arrivée[1]. Il reste un compagnon de voyage des années 1910 aux années 1960[2].

Intrigues policières, romances et drames en tous genres constituent la matière privilégiée de ces romans populaires.

Ils sont grossièrement reliés ou agrafés, les pages défraîchies sont aujourd’hui devenues brunes, elles se fendillent et l’encre a tellement pâli que des passages entiers sont illisibles. Les fascicules se composent en général d’une trentaine de pages, la couverture assez clinquante se veut directe et efficace. Elle est traitée avec un grand réalisme et composée tel un instantané focalisant l’attention sur une scène de crime, un combat sur le toit d’une voiture, un déraillement. Le dessin « plante le décor » et le titre très court est incisif[3].

L’éditeur Arthème Fayard (1866-1936) lance le « Livre populaire » en 1905, une collection de petit format, suivi par l’un de ses confrères, Jules Tallandier (1863-1933). Joseph Ferenczi (1855-1934) crée en 1912 la série du « Petit Livre » à 40 centimes et la même année, la Maison de la Bonne Presse commercialise la collection des « Romans populaires » à un prix encore inférieur.[4] Le créneau est porteur, les éditeurs profitent de la diminution des coûts de production parallèlement à l’alphabétisation progressive des femmes. L’émotion fait recette et le roman sentimental trouve un public fidèle.

Le roman sentimental comme le roman policier ne s’embarrasse guère de nuances. Le principe est simple, des personnages opposés s’affrontent, les « bons » et les « méchants » ; l’épilogue apporte la victoire du bien sur le mal.

Ces petits livres diffusés en gare, lus en voyage, évoquent parfois le chemin de fer. À l’évidence, l’action prime sur les considérations de style : les phrases sont courtes et les dialogues rendent le récit vivant. Le vocabulaire n’est pas très recherché et de nombreuses expressions familières affleurent surtout dans les romans édités dans les années 1950. Ainsi dans L’appel du maudit (p.72) : « Il aurait regagné Brioude et sa bagnole » ou dans Alibi d’amour (p.19) : « Allons prendre un petit noir au buffet pour nous réchauffer » et s’agissant d’une vieille dame, cuisinière de son état, elle était à la fois « âgée et dure de la feuille ». (p.23). La fin se devine facilement, elle ne peut décevoir le lecteur… on débusque toujours le coupable et l’amour sincère triomphe.

Le « roman à 2 sous » a distrait des milliers de voyageurs et a, sans nul doute, contribué à la diffusion de la lecture au sein de nombreux foyers modestes. S’émancipant des canons académiques, il a connu ses heures de gloire avant que le roman-photo et la bande dessinée ne viennent l’éclipser.

 

La-bague-au-doigt--CCGPF-Fonds-cheminot
Lerrante--CCGPF-Fonds-cheminot
Lintruse-au-coeur-fier--CCGPF-Fonds-cheminot
Paris-aller-et-retour--CCGPF-Fonds-cheminot
Lappel-du-maudit--CCGPF-Fonds-cheminot
Peau-neuve--CCGPF-Fonds-cheminot
Le-train-fatal-CCGPF-Fonds-cheminot
Lepreuve-damour--CCGPF-Fonds-cheminot
Mona Gloria, La liberté de coeur, Ferenczi, 1938
Alibi-damour--CCGPF-Fonds-cheminot

 

 

 

[1] Ce qui ne facilite pas la reconstitution des collections, d’autant plus que celles-ci sont disparates, parfois abandonnées puis reprises sous un autre titre et remaniées.

[2] À ne pas confondre avec les ouvrages de la Bibliothèque des chemins de fer, collection lancée par Louis Hachette en 1853 dont la ligne éditoriale est à la fois clairement définie, le contenu plus exigeant et les livres soigneusement reliés. Voir :  Limoges. Bibliothèque de la gare, novembre 1931

[3] De nombreux dessins de couvertures sont de Georges Sogny (1896-1962), artiste discret, qui a écrit sous plusieurs pseudonymes et a également travaillé pour « Le Journal de Mickey ».

[4] Au milieu des années 1930, on trouve des séries d’enquêtes policières comme « Le Petit détective » parues chez Albin Michel ou « Les aventures policières » chez Rouff.

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